Alto – Viola

Laurent Zakowsky vous expose ses principes de fabrications’ ses histoires personnelles et des témoignages d’altistes jouant ses instruments.

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La librairie Les Temps Modernes vous invite à rencontrer
Laurent Zakowsky

   L’alto est un instrument formidable. Par son histoire, son répertoire, son fonctionnement acoustique même, il a suivi une direction singulière, différente de celles du violon ou du violoncelle, dont il est proche autant qu’il se distingue. Et Laurent Zakowsky, qui vit et travaille à Orléans, est tout autant formidable luthier que raconteur d’histoires : dans son livre L’alto de A à Z, le voilà qui raconte à sa manière joyeuse et érudite l’histoire de cet instrument – un livre écrit comme les altos qu’il fabrique, avec une contagieuse liberté.  Comme le précédent ouvrage de Laurent Zakowsky, Petites histoires du violon, ce livre saura ravir et instruire le lecteur, qu’il soit artisan, musicien ou simple mélomane, tenant toutes les promesses de son titre :  de A comme alto, à Z comme Zako, vous saurez tout sur l’alto, son histoire, sa fabrication, sa philosophie aussi ! Laurent Zakowskyprésentera son livreMardi 13 décembre à 19haccompagné pour l’occasion par deux altistesJean-Philippe Bardon et Jorge Diaz  pour joindre le coup d ‘archet à la parole. La rencontre sera suivie d’une séance de dédicace.
N’hésitez pas à réserver votre place au 02 38 53 94 35 ou ici 
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Voici le témoignage de Gabriel

Du classique au folk à l’électro

J’ai acheté mon alto à Laurent Zakowsky lors de mes études de musique classique au CRR de Lyon. Depuis, je continue de jouer avec cet alto du classique bien sûr mais aussi dans toutes sortes de cadres divers et variés. Parfois, je l’emmène avec moi à des jams par exemple pour improviser autour d’un feu ou à la plage avec des guitaristes, des joueurs de handpan, des chanteurs…

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Chers amis musiciens

Voici une réflexion qui, je le suppose, nous concerne toutes et tous. Elle a fait l’objet d’une parution dans Resmusica, sous forme de trois chapitres séparés. Je vous en propose l’intégralité:

Qu’est-ce qu’un bon violon: de la physique à la philosophie (et réciproquement).

Je suis luthier, je fabrique et répare des violons, altos et violoncelles. Comme d’autres artisans, je me pose sur mon métier des questions qu’on peut qualifier de philosophiques : qu’est-ce que le beau ? Mon activité relève-t-elle de l’art ? Quelle est ma place dans ce processus de création qu’est la musique ?

A ces questions, je réponds la plupart du temps par d’autres questions, et parfois même pas du tout. Cela n’a aucune importance vitale et ne m’empêche nullement d’avancer.

Il est en revanche des questions beaucoup plus essentielles à ma vie, voire à ma survie : comment trouver les clients à qui vendre mes instruments ? A quel prix les présenter ? Comment anticiper la concurrence ? On peut qualifier ces questions d’économiques.  Pour que mes violons aient du succès, il faut donc qu’ils soient « meilleurs » que les autres. Or qu’est-ce qu’un « bon » violon ? J’ai déjà une idée sur le sujet. Pour l’illustrer, voici, décrit de façon caricaturale pour les besoins de la démonstration, ce qui se passe dans un atelier de luthier :

un violoniste, désireux d’acquérir un instrument, est venu, accompagné d’amis, en essayer deux. D’un coté, un ancien, au vernis patiné et présentant différents traces d’usage, italien et onéreux. De l’autre, un moderne, au vernis brillant et uni, de facture industrielle et bon marché. Tout le monde dispose de ces informations au moment de l’essai. Nous écoutons – et voyons, précisions importante-  le violoniste jouer successivement sur les deux instruments le même morceau. Le verdict est unanime et tranché : le premier nous a, à tous, donné beaucoup plus de satisfactions. C’est donc un « bon violon », un violon « meilleur » que l’autre, j’en veux pour preuve le fait que le violoniste l’achète et le joue en concert, au bonheur de tout le monde ! Mon but est donc de comprendre ce qui constitue la « qualité » de ce violon par rapport à l’autre, afin de l’optimiser pour les instruments que je propose à la vente, qu’ils soient anciens ou de ma fabrication. Les questions qui se posent alors sont d’ordre scientifique : comment fonctionne techniquement cet instrument, quelles sont les principes physiques en jeu ? Pour y répondre, je décide d’aller directement à la source et de poser mes questions à des scientifiques. Je commence à fréquenter des physiciens et, parmi eux, des acousticiens spécialisés précisément sur le violon.

Au Mans, François Gautier et Frédéric Ablitzer, enseignants chercheurs au Laboratoire d’acoustique de l’Université du Maine (CNRS UMR 6613) et à l’École Nationale Supérieure d’Ingénieur du Mans, me reçoivent. Je leur expose mon problème de cette façon :

lors de son apprentissage, un luthier apprend à appliquer des règles de construction, à se conformer à un plan, à copier un prototype. Il a ainsi la garantie, s’il suit ces règles, de construire un violon qui « fonctionne ». Pour autant, une fois les bases du métier acquises, il dispose d’une certaine marge de manœuvre, d’un certain degré de liberté. C’est là, dit-on, que se jouera la différence entre un « bon » luthier qui fait des violons corrects et un luthier « exceptionnel » qui fait des violons « uniques », le meilleur exemple étant Stradivarius, qui doit tous nous inspirer. En quoi consiste exactement cette marge de manœuvre ?

Si on prend un manuel de lutherie, on y trouve les cotes moyennes d’un violon. Par exemple, on peut y lire que l’épaisseur d’une table va croissant de 25 dixièmes de millimètres sur les bords  à 30 au centre. Néanmoins, ces mesures peuvent varier de plus ou moins 10%. Autrement dit, l’épaisseur peut varier de 2,25 à 2,75 mm au bord et de 2,7 à 3,3 mm au centre. En deçà de ces mesures, la table, trop fine, ne pourrait supporter le poids des cordes sans se déformer et serait trop bridée pour se mettre en vibration, c’est une question de résistance des matériaux. Au delà, elle offrirait au contraire trop de résistance pour vibrer suffisamment. On comprend donc que le degré de liberté dont dispose un luthier est limité entre un minimum et un maximum. Il existe ainsi dans la construction d’un violon un certain nombre de paramètres de ce type, liés à des contingences mécaniques, acoustiques ou ergonomiques. Par voie de conséquences, la marge dont dispose le luthier réside dans l’espace contenu entre les minima et maxima qu’autorisent ces paramètres et du nombre de combinaisons entre eux.

Il semble aller de soi que ces choix ont une conséquence sur le résultat sonore quand le violon est joué par un violoniste, on peut même dire que c’est précisément à ce niveau que se trouve tout le sens de ce métier. La question que je pose alors à François et Frédéric est : comment se traduisent ces choix techniques en résultats acoustiques ? En d’autres termes : comment et sur quels paramètres et combinaisons puis-je agir pour donner au violon un son particulier ?

Avant même de me présenter leur travail, ils me précisent le fait suivant :

« En tant que scientifiques, me disent-ils, il est pour nous primordial de nous mettre d’accord sur les termes que tu emploies. Quand tu parles du « résultat sonore » de l’instrument, fais-tu référence au fonctionnement technique du violon, à son système vibratoire, acoustique et mécanique, ou à la sensation « musicale » et le plaisir que celle-ci peut te procurer ? Dans le premier cas, nous pouvons te donner des éléments de réponses, pas dans le deuxième. »

Une fois ce préambule exprimé, ils me font visiter leur laboratoire. Sur un établi est posé un violon, le manche bien calé dans un étau. Ils me présentent l’expérience qui peut justement donner des éléments de réponse : on va exercer, sur le coin des basses du chevalet, une impulsion mécanique, autrement dit donner un petit coup de marteau de masse actionnée par un ressort, procédé qui permet de contrôler la force de l’action. De l’autre côté du chevalet se trouve un capteur qui enregistre la réponse et la transcrit sur un diagramme représentant un spectre. On réalise ainsi une sorte de « signature » de ce violon. Puis on répète exactement la même opération sur un deuxième violon, par nature différent du premier et on obtient un diagramme différent. Pour vérification, on refait l’opération sur le premier violon, les résultats initiaux n’ont pas changé, l’expérience est donc valide scientifiquement, elle est reproductible et donne lieu à des résultats mesurables. Mes compétences en science ne me permettent pas de comprendre l’intégralité du sens de leurs travaux. Par exemple, pourquoi est-ce précisément cette action qui est pertinente pour apprécier le son du violon ?  Je me dois de leur faire confiance, quitte à me faire valider postérieurement leur démarche par d’autres scientifiques, ce qui sera le cas. En discutant plus précisément, il apparait que cette expérience permet de mesurer la mobilité au chevalet du violon, c’est-à-dire sa capacité à vibrer sous l’effet des vibrations des cordes. La mobilité présente des fluctuations avec la fréquence  (des maximums aux fréquences de résonance de la caisse), ce qui explique l’effet d’amplification et de filtre joué par la caisse de l’instrument.

La conclusion de cette expérience m’est en revanche parfaitement intelligible: si l’on exerce une même cause sur deux violons différents, les conséquences sont différentes.

J’entreprends ainsi une « démarche systémique » : bien que n’étant pas scientifique, je peux comprendre et utiliser les résultats de certaines expériences et les corréler à d’autres, relevant par exemple, comme on va le voir par la suite, des sciences sociales. Couplés à mon expérience de luthier, un raisonnement peut être tenu et se révéler original.  J’assiste également à une démonstration qui ne laisse plus aucune équivoque à ma question : un groupe d’étudiants présente sur un écran une image modélisée d’un violon en 3D, on parle de « jumeau numérique », à laquelle est associée un diagramme comparable à celui décrit précédemment. En temps réel, ils agissent sur l’image en simulant des changements dans la construction de l’instrument : ils augmentent ou affinent les épaisseurs à tel endroit, ils agrandissent ou diminuent le modèle, ils montent ou descendent la hauteur des voûtes. Et, simultanément, l’ordinateur, en tenant compte de ces données nouvelles, calcule le présumé résultat vibroacoustique et présente le diagramme correspondant. Me voilà satisfait, j’ai ma réponse : si, sur un violon donné que je construits, je fais des choix de construction différents les uns des autres, ils donneront des résultats acoustiques différents. Puisqu’on peut établir un rapport entre la nature physique d’un violon et sa « signature acoustique », il devrait donc être possible de « copier » acoustiquement un violon, en le construisant selon un plan défini scientifiquement. En théorie, si je fabrique un violon dont la signature est identique à celle d’un violon considéré comme « bon » par la communauté des musiciens (par exemple tel exemplaire de Stradivarius joué actuellement par tel violoniste renommé) ce violon devrait lui-même être considéré comme « bon ». Et, quitte à copier un bon violon, autant copier « le meilleur ».  Où le trouver ?

François m’apprend alors qu’une scientifique, Claudia Fritz, chercheuse à l’Institut Jean-Le-Rond-d’Alembert (IJLRA), travaille justement sur ce sujet. Je me mets alors en rapport avec elle. Elle prépare justement une expérience, à laquelle elle me propose d’assister. (1) Son équipe a sélectionné différents violons, parmi lesquels certains considérés « à priori » comme « les meilleurs », à savoir des Stradivarius et des Guarnieri, et d’autres « à priori » moins performants, en l’occurrence des instruments modernes. Ces présupposés font l’objet d’un consensus dans la communauté musicale et ont pour effet un prestige et une valeur pécuniaire supérieure des premiers. Il s’agit d’éprouver ces à priori à l’aune de la science et de constater si celle-ci les confirme ou pas. Relativement à ma démarche, je m’attends donc à ce que les instruments anciens soient scientifiquement attestés comme « supérieurs » et, parmi eux, je prendrai le meilleur comme base de copie.

 Pour mener à bien cette expérience selon les rigueurs de la recherche scientifique, on commence par définir un moyen  de mesurer la qualité des instruments.  Les personnes les plus légitimes à s’exprimer sur cette notion sont les violonistes. N’étant pas des machines, ils ne vont pas s’exprimer en unité de mesure conventionnelle, mais par le langage. Il convient donc de définir des critères d’appréciation de leurs sensations et un vocabulaire qui soit compatibles avec les paramètres scientifiques. En l’espèce, l’expérience sort donc du champ de la physique pure et relève de la psycho-acoustique. On pose alors aux violonistes la question suivante : quelles sont les qualités que vous attendez d’un « bon » violon ? La réponse est unanime : la richesse de timbre, la puissance, la dynamique (la qualité est stable autant dans le piano que dans le forte), la portée ou projection (le son est entendu à distance sans perdre de ses qualités).

Pour que  l’expérience soit valable scientifiquement, il faut qu’elle soit réalisée, non pas au sein d’un atelier, mais, pour ainsi dire, « hors-sol », dans des conditions artificielles, à savoir  « en double aveugle » : ni le musicien ni les auditeurs ne doivent connaître le pédigrée des instruments testés.

On sélectionne dix violons, par nature différents, qu’on catégorise objectivement selon leur époque, leur modèle, leur origine géographique et leur prix. On numérote les violons. Puis on présente une paire de violon (n°1 et n°2) à un premier violoniste de haut niveau, qui joue alternativement sur le premier puis sur le deuxième violon le même court extrait musical d’environ une minute. On lui demande ensuite, ainsi qu’au public assistant à la séance dans les mêmes conditions, de classer ces deux violons sur une échelle, en fonction des critères précités. On recommence l’opération avec une autre paire, et ainsi de suite, de sorte à croiser les combinaisons, la même paire pouvant se présenter plusieurs fois (on peut même présenter le même violon deux fois en prétendant qu’il s’agit d’une paire). Et on recommence exactement cette même expérience avec un deuxième violoniste, puis un troisième, etc. Il me semble que, le jour où j’ai assisté à cette expérience, étaient présents cinq violonistes.

Les données sont ensuite analysées avec des outils statistiques. Les résultats tombent, ils sont multiples et surprenants :

– ni les violonistes ni les auditeurs ne sont arrivés à distinguer les instruments italiens et/ou anciens des autres au-dessus du hasard.

– il existe peu de consensus entre les violonistes : un instrument considéré comme excellent par certains peut être jugé défavorablement par d’autres.

– les violons neufs ont été préférés et considérés comme meilleurs en terme de projection par rapport à leurs homologues anciens.

La conclusion de cette expérience est la suivante : les violons modernes, sans nécessairement faire consensus, se révèlent plus performants sous certains aspects que leurs homologues anciens.  Cette préférence est à nuancer, car très ténue : plus on multiplie les combinaisons, plus le résultat tend vers l’équilibre et l’égalité entre tous les violons. L’expérience montre que, à l’aveugle, tous les violons concourent in fine à une uniformité de qualité.

Me voilà alors devant un problème : les résultats de cette expérience ne me permettent pas de trouver un « bon » violon que je pourrais prendre comme modèle reproductible et présenter à la vente aux violonistes, puisque ces derniers semblent se contredire suivant les contextes dans lesquels ils jouent ces instruments. Comment résoudre cet apparent paradoxe ? C’est alors que je fais la connaissance de René Caussé, chercheur émérite à l’Ircam (Institut de recherche et de coordination acoustique/musique) qui va m’apporter de très précieuses explications :

Pour comprendre le fonctionnement du violon, il faut partir de la corde(2). Une corde sur laquelle on exerce une action se met en vibration et produit un son d’une fréquence donnée (qui dépend de sa longueur, sa tension et sa masse linéique), agrégée d’une série d’harmoniques. Mais le comportement de la corde varie si elle est pincée, on parle de « vibration libre », ou si elle est frottée par un archet, on parle de « vibration entretenue ». C’est ce dernier cas qui nous intéresse. Une corde frottée est le siège de vibrations de flexion, dans le plan défini par la corde et l’archet. D’autres mouvements (de torsion et longitudinaux) existent mais sont d’importance moindre. Cette vibration dépend en fait grandement du degré de mobilité des extrémités. Je comprendrai par la suite que c’est précisément ce phénomène qui semblait prépondérant à François et Frédéric quand ils mesuraient le son d’un violon à partir d’un choc sur le chevalet.

La façon dont la corde est mise en vibration par l’archet dépend de multiples paramètres : le point de contact entre la mèche et la corde, la vitesse de l’archet, la force d’appui de l’archet, les trois angles d’inclinaison de l’archet par rapport à la corde. A cela, il faut rajouter la pose des doigts de la main gauche, avec ou sans vibrato.

Il s’avère alors que tous les sons que peut produire un violon – j’entends n’importe quel violon – peuvent être produit par une corde et un archet. Cependant, une corde est trop fine pour comprimer une masse d’air suffisante pour être audible par une oreille humaine. Il faut donc amplifier ce son. Pour cela, par le truchement du chevalet, on relie la corde à la « caisse de résonance », qui vibre sous l’action du chevalet. Cette vibration est multiple, car, en réponse aux fréquences de la corde, différentes parties de la table et du reste de la caisse (fond, éclisses, manche, volume d’air intérieur) vont se mettre en vibration en fonction de leur « fréquence propre de résonance ». L’addition de leurs vibrations est alors assez grande pour être perçue commodément par l’oreille. En retour, les vibrations de la caisse exercent une action sur la corde vibrante, absorbant une partie de son énergie et changeant de fait son comportement : on nomme ce phénomène l’ « impédance ».

A ce stade, on peut comprendre que, chaque violon étant différent, les parties qui se mettent en vibration par résonnance en fonction du signal donné par la corde n’étant pas les mêmes et/ou pas de même importance, l’impédance est différente et le résultat acoustique est différent.

C’est bien ce qu’on constate sur le diagramme de la première expérience faite par François et Frédéric et, en théorie, cela devrait se traduire par un son différent à l’écoute. Mais cette expérience, pour pertinente qu’elle soit, fait fi d’un paramètre primordial : le jeu du violon, c’est à dire son utilisation concrète. On peut la caricaturer de cette façon :

Un professeur de violon dit à son élève :

« Bouche-toi les oreilles et regarde les gestes que j’effectue sur mon violon. Maintenant, reproduit sur ton violon les mêmes gestes. Quand tu ouvres tes oreilles, tu constates que le son est différent ! »

On aura compris qu’une leçon de violon consiste exactement en la démarche inverse :

              « Ouvre grand tes oreilles, écoute le son que je produis avec mon violon.           Maintenant, en t’inspirant des gestes que tu m’as vu faire et en les adaptant, reproduis ce même son sur ton violon ! »

Cette illustration, certes grossière, illustre un phénomène incontournable en matière de jeu du violon et donc de son rendu sonore : la « boucle de contre-réaction », aussi appelée  « feed-back ». Un violoniste débutant ne connait ni le résultat sonore qu’on attend de lui, ni les gestes à effectuer pour cela. Il est dominé par le violon, le rendu sonore est celui qu’on connaît et redoute tous. Au fur et à mesure de son apprentissage, il va progresser dans les deux domaines : il va prendre conscience de mieux en mieux du rendu sonore qu’il désire en même tant qu’il va acquérir les moyens d’y parvenir. Et cela, justement en ne laissant pas le violon agir selon sa facture, mais précisément, au contraire, en contraignant le violon à répondre à ses injonctions de violoniste : par sa technique, il va forcer le violon à se comporter selon ses choix. Jouer du violon, c’est agir contre le violon. Je dirais que le jeu du violoniste, c’est- à dire ce qui fait l’identité du son, écrase celle du violon.  Cette considération peut sans doute choquer un violoniste, car un des principe premier de la technique instrumentale consiste justement à jouer de la façon la plus détendue possible et certainement pas en forçant l’instrument. Mais il s’agit là d’une métaphore, le musicien et le violon étant considéré comme deux individus animés, chacun ayant sa propre personnalité et dialoguant ensemble. C’est une image poétique et symbolique, indispensable à l’apprentissage, mais non une description scientifique.

La façon dont le violoniste contraint l’instrument à « sonner » suivant ses choix peut se décrire ainsi :

en prenant un violon en main et avant même que le moindre son ne soit produit, un violoniste compétent est déjà  détenteur d’un nombre d’informations physiques le concernant. Le fait de serrer sa main gauche sur la poignée et de mettre ses doigts sur les cordes, de placer le violon sur sa clavicule, de poser l’archet sur les cordes sont autant de petits chocs générant des vibrations perçues par la peau, les cavités du visage, les os, les fluides corporels. Le violoniste possède déjà, à ce stade, une représentation vibratoire, fut-elle inconsciente, de l’instrument. A peine tire-t-il l’archet que le voilà en possession de suffisamment d’éléments pour agir immédiatement sur le comportement de la corde, par son jeu d’archet, ses doigts de la main gauche, son vibrato, sa posture générale, pour réagir au signal que lui envoie l’instrument et ajuster son jeu en conséquence. Ce procédé, nommé « proprioception », relève de la neurologie et a pu être mis en évidence grâce à la technique de la « motion capture » (3). On dispose sur le violon, l’archet et le violoniste des capteurs. On installe également sur l’archet un appareil permettant de mesurer son poids, sa vitesse de déplacement, etc, sans que celui-ci soit intrusif et n’influe sur le jeu. On peut ainsi suivre le jeu spatial et physique du musicien et observer comment il peut différer d’un violon à un autre pour un résultat musical identique – comprenons « identique à l’écoute », le seul paramètre pertinent en l’espèce – et ainsi comprendre ses décisions (4). En clair, on peut dire qu’avec tous les violons du monde, on peut produire tous les sons de violon du monde, en tout cas tous ceux dont on se sert en musique. La différence entre eux réside dans le fait qu’on ne produira pas ces sons de la même façon. Cette constatation fait écho à une anecdote bien connue du milieu des musiciens et des luthiers : le grand violoniste polonais Henryk Szeryng jouait sur un violon italien du XVIIIème siècle, très côté, construit par le luthier Guarnieri del Gesu. Quand il donnait des cours, il proposait à ses élèves, jouant sur des violons divers et certainement moins prestigieux, le test suivant : derrière un rideau, il jouait alternativement leurs instruments et le siens et demandait s’ils entendaient une différence. La plupart du temps, on pensait qu’il bluffait, qu’il ne jouait en fait que le sien, tellement on n’entendait pas de différences. Et pourtant non ! En fait, étant au sommet de son art, il produisait avec n’importe quel violon le son qu’il désirait. Tous ces violons étaient alors, par définition, de « bons violons ». Aussi, pour définir ce concept, je reprendrais à mon compte un modèle défini par le pédopsychiatre Donald Winnicott. On lui demandait ce qui, d’après lui, définissait une « bonne mère ». Il expliquait alors qu’une bonne mère est une mère « suffisamment bonne ». Autrement dit, sous réserve du minimum de soin, d’amour et d’attention prodigués à ses enfants et qui constituent le cas général, il n’existe pas de degré de « qualité » qui puisse caractériser une mère par rapport à une autre. Par analogie, un « bon » violon est alors, pour moi, un violon « suffisamment bon » : sous réserve d’un minimum de respect dans les règles de construction, règles qu’on trouve dans tous les manuels de lutherie et qui ont été appliquées pratiquement à tous les violons présentés à la vente par les luthiers, y compris ceux fabriqués industriellement, tous les violons sont également bons. Aussi, quand un violoniste estime qu’un violon est « bon », il est certainement plus intéressant de regarder le violoniste plutôt que le violon.

Mais s’il est vrai que l’auditeur ne perçoit pas de différences, il en va peut-être autrement du violoniste. Se peut-il que, même maîtrisant ces différents violons sans effort conscient, cette nécessité d’adaptation à chaque violon influe sur d’autres paramètres que le résultat audible, comme par exemple sa fatigue ou son plaisir ? Cette notion de « bon violon » pourrait alors être envisagée, non plus de façon absolue, mais relative à chaque violoniste. Apparaît alors la notion de « couple violoniste-violon ». Et c’est bien cette relation qui naît dans l’atelier du luthier. Comme évoqué dans l’anecdote d’introduction, les violons présentés par le luthier (qui est aussi un commerçant, ne n’oublions pas) au musicien ont pour vocation de susciter son désir – le rapport qui se crée alors entre eux est qualifié d’amoureux (les psychanalystes parleraient certainement d’un rapport « érotique »), certains violonistes parlent même de « coup de foudre » dans la rencontre avec leur instrument.  Si, dans l’exemple cité, le violoniste a préféré l’instrument ancien, italien et onéreux plutôt que son concurrent, cela peut être dû à un phénomène de suggestion que je nomme  le « pouvoir performatif de l’étiquette », ce dernier terme devant être entendu au sens large, à savoir l’ensemble des informations dont dispose le musicien sur un violon précis à un moment donné. Notamment tous les petits éléments de construction de l’instrument, représentant un des aspects du travail du luthier et qui relève du « style ». Par ce terme, on entend tous les petits détails esthétiques auxquels les luthiers accordent une importance primordiale. Considérés individuellement sur un violon donné,  ils passent le plus souvent inaperçus par les violonistes. Pourtant, ils constituent un tout qui, espérons-le, saura toucher leur sens artistique et, ainsi, susciter leur désir de jouer cet instrument. Ce phénomène relève de la théorie leibnizienne des « petites perceptions » et porte en conséquence le nom d’ « apperception » (5).  Si on le tient pour vrai (c’est mon cas), il représente certainement une grande part du pouvoir d’action du luthier sur ce que je nommais le « résultat sonore » de l’instrument. Le violon, en tant que marchandise, se trouve ainsi « enchanté ». Se crée alors pour le musicien et l’ensemble des personnes concernées par ce violon une « représentation fantasmée » de l’instrument. Et c’est à ce niveau que, d’après moi, notre raisonnement est pris en défaut en nous faisant confondre la cause et l’effet. Car ce n’est pas parce que le violoniste produit avec ce violon des sons merveilleux qu’il va l’aimer, mais bien parce qu’il l’aime qu’il va produire avec des sons merveilleux.  Et, par amour, il va s’adapter à ce violon, le jouer en tenant compte de son fonctionnement acoustique et l’aimer grâce à ses qualités et malgré ses  « défauts », et, qui sait, peut-être même pour ses « défauts ».  Ce violon sera le « bon » et le luthier y sera bien techniquement, scientifiquement pour quelque chose, même malgré lui, même si ses choix de départ n’ont en fait peut-être eu aucun effet direct sur le « résultat sonore » auquel il entendait participer. Au sens philosophique, il n’a pas « créé » le son du violon. Au sens biologique,  il l’a « engendré ».

Ainsi, mon problème économique du départ n’aura peut-être pas trouvé de solution auprès des scientifiques, pour la simple et bonne raison que le concept de « bon » violon ne relève pas de la science. Ce sont néanmoins bien eux qui m’ont  apporté des réponses à cette question philosophique. Je leur en suis infiniment reconnaissant.

Sources :

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