
Photo Jorge Gomes
Au départ, l’œuvre existait virtuellement dans mon esprit.
Je savais ce que je voulais exprimer par sa matière, sa taille, sa couleur, son aspect plastique général. J’avais décidé de son organisation mécanique (tension des cordes, ouvertures, disposition des différents symboles). Je procédais ensuite comme je le fais pour un violon : je dessinais sur papier la forme du moule, le gabarit sur lequel j’allais plier les éclisses (les cotés) en érable sycomore, puis le taillais, ainsi que ses contreparties, dans un bloc de contreplaqué. (photo)
Une fois les éclisses pliées et ajustées sur ce moule, je traçais et chantournais à la scie ma table (le dessus, en merisier) et mon fond (le dessous, en peuplier). Ces deux essences ne doivent rien au hasard. Un principe hermétique stipule que l’instrument doit coupler des essences « féminines », telles le sapin ou le peuplier, avec d’autres plus dures, « masculines », telles l’érable ou le merisier.
C’est à ce moment que commençait une partie d’ « improvisation », en fonction de ma fantaisie du moment mais aussi et surtout en fonction des contingences propres au matériau employé. En l’occurrence, apparu à l’ébauchage, après quelques coups de gouges, une gerce sur le fond, c’est-à-dire une fente cernée d’une tache noirâtre, assez grosse et disgracieuse.

J’agissais alors comme l’aurait fait un artisan de la Renaissance, à l’époque où le bois coûtait cher et où le gaspillage était proscrit : je m’adaptais, en abaissant ma hauteur de voûte initialement prévue à cet endroit, ôtant ainsi une bonne partie de la gerce. Mais, de ce fait, je me retrouvais avec un trou d’un coté et une bosse de l’autre. Me vint alors l’idée de profiter de ce « défaut » pour sculpter des veines saillantes sur la voûte, m’inscrivant ainsi dans les préconisations de Ficin.
Je devais également répondre à un problème pour la table :
la planche de merisier, que je voulais absolument utiliser en raison de la beauté de son grain et de ses veines, n’était pas assez large en bas. Je récupérais alors une chute du haut pour l’ajuster sur le bas, réalisant ainsi un « chanteau », une sorte de greffe. Néanmoins, le fil de ce morceau n’étant pas dans le même sens que la pièce sur laquelle il s’ajustait, le bois éclatait quand je le prenais à contre-fils avec ma gouge. Là aussi, je changeais mes plans et dégageais les cotés beaucoup plus que je ne l’avais prévu.

Ce principe d’adaptation aux aléas du matériau a été à l’origine des différents styles de lutherie qui sont apparu en Italie aux XVème et XVIème siècles et qui se sont perpétués jusqu’aujourd’hui.
La suite au prochain épisode…
Tu nous fais languir !!! Vite, la suite -))
quelle magnifique idée, Laurent….et enfin pouvoir écouter le silence qui parait-il est d’or….nous attendons la suite avec impatience